mercredi 6 avril 2011

Sucker Punch


Fermez les yeux. Libérez-vous l'esprit. Rien ne vous prépare à ce qui va suivre. Bienvenue dans l'imaginaire débordant d'une jeune fille dont les rêves sont la seule échappatoire à sa vie cauchemardesque… S'affranchissant des contraintes de temps et d'espace, elle est libre d'aller là où l'entraîne son imagination, jusqu'à brouiller la frontière entre réalité et fantasme… Enfermée contre son gré, Babydoll a toujours envie de se battre pour reconquérir sa liberté. Combative, elle pousse quatre autres jeunes filles, la timorée Sweet Pea, Rocket la grande gueule, Blondie la futée, et la loyale Amber à s'unir pour échapper à leurs redoutables ravisseurs, Blue et Madame Gorski avant que le mystérieux High Roller ne vienne s'emparer de Babydoll. Avec Babydoll à leur tête, les filles partent en guerre contre des créatures fantastiques, des samouraïs et des serpents, grâce à un arsenal virtuel et à l'aide d'un Sage. Mais ce n'est qu'à ce prix qu'elles pourront, peut-être, recouvrer la liberté…

C’est sur l’air de Sweet Dreams, titre ô combien approprié, que débute Sucker Punch. Dans une séquence d’introduction à la fois magnifique par son esthétique et affreuse par ce qu’elle raconte, Zack Snyder nous résume en quatre minutes toute l’histoire de Babydoll, cette jeune fille détruite et abusée, placée en hôpital psychiatrique par un beau père tyrannique, qui n’ayant aucun moyen d’échapper à un sort horrible se réfugie dans les rêves pour échapper à ses bourreaux et avoir le contrôle de sa destinée. Cette séquence d’introduction n’est pas seulement magnifique, elle est aussi annonciatrice de ce que sera le film : un immense trip visuel et musical au scénario minimaliste et aux personnages transparents.


Ce n’est pas nouveau, Zack Snyder est avant tout un cinéaste de l’image avant d’être un cinéaste des mots. Cette préférence il l’avait déjà montré sur 300, film sans scénario à l’identité visuelle très forte. Il l’avait également affirmée en ne faisant jusqu’ici que des remakes (Dawn of the Dead) ou des adaptations de comics (300 et Watchmen). Watchmen justement avait ajouté une nouvelle dimension à la grammaire du cinéaste puisque celui-ci avait porté une attention toute particulière à la bande originale en utilisant des classiques du répertoire pop rock des années 60, 70 et 80. Choix risqué car peu en adéquation avec ce qu’on attend d’une bande originale d’un film de supers héros, choix critiqué (on se souvient entre autre de Hallelujah de Léonard Cohen) mais choix logique car parfaitement dans le ton du matériau de base… Logiquement Sucker Punch, qui est le premier film de Zack Snyder à mettre en scène une histoire originale, reprend toute cette grammaire cinématographique dans une œuvre-somme pour le plus grand bonheur des un ou le plus grand malheur des autres.


Car c’est bien sous cet angle qu’il faut appréhender Sucker Punch. Le film est un immense délire visuel et sonore, un rêve de gamin, un fourre tout un brin bordélique où toutes les références (Planète Opéra, Steampunk, Heroic Fantasy, Zombies, Mangas, Jeux Vidéos) qui composent l’univers de son réalisateur sont réunies. Et parmi ces références, celle qui se détache est celle qui nous parait sans doute la moins évidente à nous français : Alice au pays des merveilles. Zack Snyder l’a dit et l’a répété, son film se veut une relecture du livre de Lewis Carroll avec Badydoll dans le rôle d’Alice qui comme son illustre cousine se réfugie dans un monde des rêves peuplé de créatures étranges et inquiétantes. Mais là où Alice y pénétrait par le trou d’un terrier de lapin, c’est par le trou d’une lobotomie que Babydoll s’y engage. D’autres références reviendront au cours du film, la plus visible étant sans doute ce plan magnifique qui montre Badydoll et ses amies discutant tout en se maquillant, face à des miroirs. La caméra tourne autour d’elles jusqu’à aller « de l’autre coté du miroir » où la réalité s’inversera.


Les autres références du réalisateur s’expriment au sein des tableaux qui constituent le film. Dans son rêve, Babydoll n’est plus dans un asile mais dans un cabaret où les filles dansent avant de rejoindre les clients dans des chambres individuelles. Badyboll et ses amies imaginent un stratagème pour échapper à Blue, tenancier et proxénète brutal, qui gère l’établissement. Profitant des danses envoutantes et hypnotisantes de Babydoll, elles vont essayer de récupérer quatre objets qui leur permettront de s’échapper. Ces quatre objets, et donc ces quatre danses qui ne seront jamais montrées au spectateur, sont l’occasion pour Zack Snyder de placer quatre morceaux de bravoure, quatre séquences oniriques, mise en musique par des reprises des Beatles, de Queen, de Jefferson Airplane’s ou de Roxy Music, quatre séquences où les lois de la physique n’ont plus court et où nos amies d’infortune se transforment en guerrières redoutables lancées dans des missions à haut risque dont le but est de récupérer ces fameux objets indispensables à la poursuite de leur quête de liberté. Cette construction en niveaux avec des artefacts à récupérer, un boss final à affronter et des compétences à gagner peut faire penser à un jeu vidéo. Les mauvaises langues ne se priveront d’ailleurs pas d’utiliser cet argument en défaveur du film, signifiant par là que le jeu vidéo est un art mineur ne pouvant qu’abaisser la qualité d’un film. Ce n’est bien sur pas mon avis et le sujet mériterait d’ailleurs un article complet tellement il y aurait de choses à dire. Quoi qu’il en soit, s’il est impossible de réfuter que l’art vidéo ludique soit une source d’inspiration pour Zack Snyder (ses soldats allemands de la première guerre mondiale ressemblent d’ailleurs étrangement aux fantassins de Killzone 2), ils ne sont qu’une source d’inspiration parmi d’autres et Sucker Punch n’a aucunement l’ambition ni la prétention d’être un film sur le jeu vidéo. Cette construction en niveaux ou en tableaux n’est d’ailleurs pas leur apanage. Le roman de Lewis Carroll n’est il pas lui-même un peu construit de la même manière ?


Le film n’est pas parfait, loin de là. Le scénario est réduit à la portion congrue. (Mais un bon film a-t-il besoin d’un bon scénario ? La réponse n’est pas si évidente.) Les actrices ne sont que des faire-valoir libidineux pour adolescents élevés aux mangas. Les personnages sont superficiels et ne provoquent pas l’empathie. Et le film dans son ensemble dégage à première vue une certaine vacuité. Une vacuité toute relative qui fait bien peu de cas du fort potentiel divertissant du film. Sucker Punch est à déguster comme une friandise sucrée et acidulée qui provoque un plaisir fort et immédiat en stimulant nos souvenirs adolescents. Toutefois, ce plaisir évident ne doit pas cacher une réalité. Avec Sucker Punch, Zack Snyder est arrivé au bout d’un cycle. Et s’il ne veut pas rejoindre cette catégorie de réalisateurs prisonniers d’un style et n’arrivant plus à étonner (qui a dit Tim Burton ?), il devra se renouveler. Et ce renouveau devra déjà s’amorcer avec son prochain film, Superman : Man of Steel. Car après la déception (en terme d’entrés) Watchmen, Sucker Punch semble bien partis pour faire encore moins bien (19 millions de dollars pour la première semaine d’exploitation us). Warner qui n’a jamais été connu pour son philanthropisme ne pardonnera sans doute pas un troisième échec consécutif au box office.

Ils en parlent également : A.C. de Haenne, Guillaume44

5 commentaires:

Guillaume44 a dit…

Bon alors et ce scénario caché que certains blogs croient avoir trouvé ?

Pitivier a dit…

J'ai lu plusieurs théories. L'une d'elle dit que Badydoll n'existe pas. Que tout le film ne serait que la thérapie d'un des personnages et Badydoll une facette de sa personnalité... Peut être. Le film s'amuse des différents niveaux de réalité imbriqués. Ca serait bien le style de Zack Snyder aussi de s'amuser comme cela avec le spectateur. Mais contrairement à Inception où tout est plus ou moins clair, l'histoire de Sucker Punch laisse pas mal de place à l'interprétation. Tu peux y voir ce que tu as envie d'y voir et cela reste pour moi un artifice qui ne modifie en rien le sens du film.

Bref, à mon avis, il ne faut pas chercher à y voir des trucs hyper compliqués. Ce film c'est juste un délire visuel très bien foutu...

Bien sur, je ne m'interdit pas de changer d'avis lors d'un prochain visionnage en Blu-ray. ;)

A.C. de Haenne a dit…

La scène de passage de l'autre côté du miroir est tout simplement magnifique !
Par contre, à ta question "un bon film a-t-il besoin d'un bon scénario ?", je réponds oui, mille fois oui !

A.C.

Pitivier a dit…

La réponse n'est pas si évidente que ca. Ou alors faut voir ce qu'on appelle scénario. Prenons Suspiria de Dario Argento par exemple. Le scénario est minimaliste, le jeu des acteur est sommaire, Argento privilégie manifestement la forme au fond et pourtant le film est considéré comme un chef d'oeuvre du cinéma par beaucoup de monde.

Nelfe a dit…

Mr K est allé le voir samedi dernier. Moi ça ne me disait absolument pas donc j'ai passé mon chemin.
Il est rentré dépité, le trouvant beau visuellement mais horriblement creux... Depuis je lis des articles dithyrambiques sur ce long métrage et je me pose des questions...

Si tu veux voir son avis, peut être discuter un peu du film aussi puisqu'il n'est pas du style à harpenter les blogs et forums comme moi, son article est sur notre blog: http://cafardsathome.canalblog.com/archives/2011/04/06/20828724.html

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